Thomas était un enfant calme et studieux. Devenu adolescent, il sombre
dans la débauche, la prostitution, la drogue et la folie. Son jeune demi frère
Johann demeure impuissant à l'atteindre et souffre du rejet systématique de son
ainé. Malgré la violence de leurs altercations, Johann espère toujours
retrouver son frère tel qu'il était avant sa déchéance.
EXTRAIT:
Format Numérique:
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Dimension : 15,2 cm x 22,9 cm
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Format Poche
Nombre de page : 272
Dimension : 11 cm x 17 cm
Prix : 8,50
EXTRAIT:
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SAUVAGES
SAUVAGES
Il
y a deux sortes de patients. Ceux que l'on traite en professionnel et
ceux qui parviennent à nous affecter. Ça ne m'était jamais arrivé,
mais je suis obligée d'admettre que ce patient m'affecte. Il fait
naître en moi des émotions variées, de l'enthousiasme à la pitié.
Thomas,
pourquoi t'infliges-tu cette punition ? Qu'est-ce qui te
dégoûtes tant quand tu te regardes dans un miroir pour que tu
cherches ainsi à te détruire ? Et pourquoi le fais-tu de cette
façon ? Tu aimes te faire du mal, c'est indéniable. Tu l'aimes
ta culpabilité, tu la chéris et t'y accroches comme à une bouée
dans l'océan tourmenté de ton inconscient. Qu'est-ce que tu me
caches ? Quel est ce secret que tu gardes en toi et qui justifie
à tes yeux un tel gâchis ?
Je
ne souhaite pas juste te guérir, je veux savoir qui tu es. Tu penses
que personne ne peut te venir en aide, mais je veux te prouver que tu
te trompes. Je vais traverser l'orage qui gronde en toi et atteindre
l'œil du cyclone.
Je
n'ai pas l'habitude de procéder de cette manière, mais tu es le
premier à m'avoir conduite dans une impasse. Pour tout dire, je suis
surprise que ton demi-frère ait accepté de me rencontrer aussi
facilement. Tu ne parles jamais de ta famille. Peut-être est-ce
intentionnel. Tu déploies toute ton énergie à détourner mon
attention de ton cercle familial, je vais donc m'y intéresser et
comme tu refuses de me répondre à ce sujet, je vais m'adresser à
une personne directement concernée.
Johann Parker
est un adolescent en pleine crise. Il arbore un look
vestimentaire marginal. Sa coupe de cheveux asymétrique et
déstructurée en dit long sur son état d'esprit. Des mèches
effilées dont certaines tombent sur les épaules, d’autres
encerclent son visage dans tous les sens. C'est le chaos dans cette
tête blonde. L’hélix de l'oreille droite est traversé par une
barre métallique aux extrémités en forme de pointe. Une autre
pointe en acier lui traverse la lèvre inférieure en son milieu.
T-shirt ajusté à longues manches, jeans slim avec de nombreuses
déchirures ornementales et des boots au design original aux pieds,
le tout en noir et de très bonne facture. La famille de Thomas ne
manque pas d'argent. Je suis surprise que ses parents tolèrent un
tel look. En y réfléchissant, maintenant que je rencontre son petit
frère, il m'apparait évident que ces deux là ont été délaissés.
Thomas n'aurait jamais pu tomber si bas s'il avait eu des parents
soucieux de sa personne.
Johann
se tient remarquablement droit sur sa chaise. Délaissé, mais bien
dressé. Je le trouve attendrissant ainsi affublé. Il n'ose pas me
regarder dans les yeux et soigne un air blasé pour masquer sa
timidité. Je pose mes mains l'une sur l'autre sur le plateau de la
table et tente de briser la glace.
- Je
suis ravie que tu aies accepté de t’entretenir avec moi. Sache que
cet échange restera entre toi et moi. J'essaie d'aider ton frère,
mais il refuse de s'ouvrir à moi. Je ne peux pas soigner un patient
dont j'ignore tout. J'ai besoin que tu me parles de lui, de ce que
tu perçois de sa personne, de ce qu'il t'inspire.
Johann
fait tourner son crayon sur la table. Ses sourcils légèrement
froncés révèlent qu’il essaie de dissimuler son anxiété. Il
finit par lever les yeux et me toise de haut en bas. Puis, un sourire
fendille son masque.
- Ce
qu'il m'inspire ? Vous plaisantez ?
Cette
réponse m'étonne. Il a accepté de me rencontrer sans afficher la
moindre résistance, alors pourquoi se braque t'il à présent ?
- Je
ne plaisante pas. Excuse-moi, je ne sais rien de votre relation,
Thomas ne me parle jamais de sa famille.
Son
visage s'assombrit.
- Il
ne parle jamais de moi.
Ce
n'est pas une question. Il prend juste note de cette information.
Enfin, il plante ses yeux dans les miens. Ils sont d'un bleu
océanique et cerclés d'un vert émeraude brillant. Ils m'évoquent
la peinture de Camille Hilaire, en particulier son triptyque
maritime. Je ne peux retenir un sourire à l'évocation de ces
toiles. Johann ne perd pas contenance et me fixe avec la même
intensité.
- Quand
je pense à Thomas, ce qui me vient en premier c'est : « Crève
sale bâtard ».
Il
fallait s'y attendre. Il est en colère contre son frère. Comme je
ne sourcille pas, il complète sa phrase.
- C'est
la dernière chose que je lui ai dite. Je lui ai dit de crever et il
s'est ouvert les veines. C'est comme ça qu'il a atterri ici. C'est
à cause de moi.
Johann
pense être à l'origine du comportement suicidaire de mon patient.
Il est là depuis à peine cinq minutes et il éclaire déjà ma
lanterne. En passant, il me révèle qu'il culpabilise d'en être la
cause. Leur relation est bien le nœud du problème, c'est pour cela
que Thomas ne me parle jamais de lui. Tout ce temps, il a
soigneusement éludé la question en me baladant avec ses mensonges.
- Il
l'a fait lors d'une dispute ?
Il
affiche un rictus ironique.
- Une
dispute ? Si ça vous plaît d'appeler ça comme ça. Il devait
surement être camé jusqu'à la moelle. Je voulais qu'il me parle,
mais il ne m'a rien dit. Il n'a pas lâché un seul putain de mot.
Par contre, il m'a soulevé, il m'a cogné contre tous les murs et
m'a jeté comme une merde. Je lui ai dit d'aller en Enfer, de
crever. Il m'a écouté mais il n'a rien dit. Cet enfoiré ne m'a
jamais donné la moindre explication à son comportement de connard
et vous voulez que je vous aide ? C'est vous la toubib, c'est
vous qui devriez me dire ce qui ne va pas chez lui !
Cet
enfant me fait de la peine. Il est malheureux comme les pierres et se
réfugie derrière un écran de colère. Je ne l'ai pas fait venir
pour le plaindre, je reprends mon ton de professionnelle et le
questionne.
- Ça
a toujours été comme ça entre vous ?
Ma
question semble l'avoir blessé. Ses traits deviennent tirés, j'ai
atteint la corde sensible.
- Avant
il m'aimait.
L'utilisation
du verbe « aimer » me fait lever un sourcil malgré moi.
Avant, il l'aimait. Il m'a dit ça comme s'il parlait d'un ancien
amoureux. Mon patient, « aimait » autrefois. La mine
déconfite de Johann m'enseigne qu'il s'agit d'un sentiment doux et
protecteur qu'il regrette. Thomas m'a sacrément retourné le
cerveau, j'ai un mal de chien à imaginer son visage lubrique à
l'attitude soigneusement calibrée pour la provocation faire preuve
d'affection et de tendresse envers qui que ce soit.
- Tu
peux m'en dire plus ?
Il
recommence à faire tourner son crayon et s'avachit sur sa chaise. Il
a besoin de vider son sac et ça va être long.
- Mes
parents ont divorcé quand j'avais cinq ans et ma mère a obtenu ma
garde, mais elle travaillait beaucoup. Je passais mes journées,
seul avec ma nounou. Je m'ennuyais beaucoup et je m'étais mis en
tête d'avoir une petite sœur ou un petit frère. À chaque fois
que maman rentrait, je lui demandais si je pouvais avoir une petite
sœur ou un petit frère. Elle me répondait toujours par la
négative et repartait dans son bureau bosser sur des dossiers
qu'elle ramenait à la maison. Un jour elle m'a dit que j'avais un
grand frère. Qu'il vivait en Amérique et que si je le voulais,
elle le ferait venir pour qu'il vive avec nous, j'ai sauté de joie.
Thomas est l'enfant qu'elle a eu avec un amour de jeunesse quand
elle étudiait à la fac de Salt Lake City. Il s'appelait Ahiga,
c'était un navajo. Ma mère est issue de deux familles très
strictes, pour mes grands-parents il était inenvisageable qu'elle
rentre avec un gamin né hors mariage. De toutes façons, je pense
qu'elle ne voulait pas l'élever, mais on ne peut pas avorter en
Utah. Elle s'est enfuie et l'a abandonné à la famille de son père.
Puis elle a fini ses études à Cambridge où elle a rencontré mon
père.
Il
fait une pause. J'en profite pour prendre des notes sur mon calepin.
Thomas est un enfant non désiré et abandonné. Ça commence bien.
- Quand
il avait douze ans, son père et lui se sont fait agresser. Son père
s'est fait battre à mort, sous ses yeux.
Je
ne montre rien, mais j'en tombe des nues ! Me voici en pleine
traversée de l'orage. Johann me transperce avec ses yeux vert
Hilaire.
- Il
ne vous l'avait pas dit, hein ?
- Il
ne me dit rien. Tu t'en doutes, il m'est difficile de soigner un
patient qui ne parle pas.
Il
exhibe un petit sourire compatissant.
- Bienvenue
dans mon monde.
- Veux-tu
boire quelque chose ?
Il
accepte volontiers et me demande un thé glacé et non un soda comme
je m'y attendais. Après une petite pause destinée à lui permettre
de rassembler ses idées, il continue de me livrer les secrets de mon
patient.
- Quand
Thomas est arrivé chez nous, il était encore traumatisé et ne
parlait pas. Au début on pensait que c'était à cause de la langue
et du dépaysement. Il parlait navajo et un peu anglais, il vivait
dans la réserve indienne en Utah avec sa grand-mère mais en dehors
de cette vieille femme et de son père, personne ne s'occupait de
lui. Je peux vous dire qu'il adorait son père. Quand il est mort,
Thomas a vécu comme une punition le fait d'être envoyé ici, d'où
son mutisme qui a perduré un an après son arrivée. Un beau jour,
il s'est mis à parler, directement en français, sans accent et
sans faire d'erreurs. Il n'est pas devenu bavard pour autant, mais
on pouvait enfin avoir une conversation avec lui. C'est à partir de
ce moment qu'on a pu se rapprocher l'un de l'autre.
Il
fait une pause et sirote son thé. Je suis impatiente de savoir ce
qu'il appelle « se rapprocher l'un de l'autre ». À quel
point étaient-ils proches ? Thomas était-il affectueux ?
Johann ne me fait pas languir et reprend son récit après avoir
avalé quelques gorgées.
- Ce
sont mes plus beaux souvenirs si vous voulez tout savoir. On a
quatre ans d'écart, mais Thomas était culturellement et
psychologiquement très différent des garçons de son âge. Il
s'est mis à prendre soin de moi. On jouait ensemble, on regardait
des films et il me prenait dans ses bras. C'était quelqu'un de très
affectueux. Certaines nuits, il me laissait dormir avec lui, je me
roulais en boule comme un gros chat dos à lui et il me recouvrait
de ses bras. J'avais son souffle dans ma nuque, il faisait chaud
contre lui, j'adorais me blottir ainsi. Ça a duré quatre ans.
La
mélancolie envahit son regard. Il a l'air si triste. Je ne pensais
pas qu'ils avaient eu une relation aussi fusionnelle. Johann tire sur
sa paille et vide son verre.
- Ensuite
il est entré au lycée et c'est devenu un étranger.
- Comme
ça, du jour au lendemain ?
- Ou
presque. Au début il m'évitait, à la fin il me virait de son
passage. Je me doutais bien qu'il partait en vrille hein, mais la
boîte de notre mère était en train de racheter un de ses
principaux concurrents, alors elle n'en avait rien à foutre de ce
qu'il se passait à la maison à ce moment-là. Le reste de
l'histoire vous la connaissez. C'est pour ça qu'il est ici depuis
plus d'un an et je ne vous cache pas que je me demande s'il sortira
un jour.
Touché
coulé. Il me balance mon incompétence en pleine poire. Ou il est
juste désespéré de retrouver son frère, puisque c'est le seul qui
l'ai couvert d'affection à ce que j'entend. Deux gamins délaissés,
c'est d'une tristesse. Je me recentre sur mon travail, mon carnet est
rempli de notes, cet entretien fut très instructif. J'ai enfin vu
l'œil du cyclone et il est vert Hilaire.
Ahaha je me souviens de la première fois ou j'ai lu ce passage. Il me fait toujours le même effet "outch Jo tu mâches pas tes mots, t'abuses" XD!
RépondreSupprimerPas faux, mais je préfère le passage ou il s'engueule avec "Urina" dans la cuisine xD !
RépondreSupprimerLa pauvre Irina, c'est vraiment la dinde farcie pour le coup dans toute cette histoire ^^
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