Bleu&Rouge I




Thomas était un enfant calme et studieux. Devenu adolescent, il sombre dans la débauche, la prostitution, la drogue et la folie. Son jeune demi frère Johann demeure impuissant à l'atteindre et souffre du rejet systématique de son ainé. Malgré la violence de leurs altercations, Johann espère toujours retrouver son frère tel qu'il était avant sa déchéance.


Format Numérique:

Prix: 5 €




Format Broché:
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Nombre de page: 278
Dimension : 15,2 cm x 22,9 cm
Prix : 14 €



Format Poche

Nombre de page : 272
Dimension : 11 cm x 17 cm
Prix : 8,50

EXTRAIT:



- 2 -
SAUVAGES


Il y a deux sortes de patients. Ceux que l'on traite en professionnel et ceux qui parviennent à nous affecter. Ça ne m'était jamais arrivé, mais je suis obligée d'admettre que ce patient m'affecte. Il fait naître en moi des émotions variées, de l'enthousiasme à la pitié.
Thomas, pourquoi t'infliges-tu cette punition ? Qu'est-ce qui te dégoûtes tant quand tu te regardes dans un miroir pour que tu cherches ainsi à te détruire ? Et pourquoi le fais-tu de cette façon ? Tu aimes te faire du mal, c'est indéniable. Tu l'aimes ta culpabilité, tu la chéris et t'y accroches comme à une bouée dans l'océan tourmenté de ton inconscient. Qu'est-ce que tu me caches ? Quel est ce secret que tu gardes en toi et qui justifie à tes yeux un tel gâchis ?
Je ne souhaite pas juste te guérir, je veux savoir qui tu es. Tu penses que personne ne peut te venir en aide, mais je veux te prouver que tu te trompes. Je vais traverser l'orage qui gronde en toi et atteindre l'œil du cyclone.
Je n'ai pas l'habitude de procéder de cette manière, mais tu es le premier à m'avoir conduite dans une impasse. Pour tout dire, je suis surprise que ton demi-frère ait accepté de me rencontrer aussi facilement. Tu ne parles jamais de ta famille. Peut-être est-ce intentionnel. Tu déploies toute ton énergie à détourner mon attention de ton cercle familial, je vais donc m'y intéresser et comme tu refuses de me répondre à ce sujet, je vais m'adresser à une personne directement concernée.
Johann Parker est un adolescent en pleine crise. Il arbore un look vestimentaire marginal. Sa coupe de cheveux asymétrique et déstructurée en dit long sur son état d'esprit. Des mèches effilées dont certaines tombent sur les épaules, d’autres encerclent son visage dans tous les sens. C'est le chaos dans cette tête blonde. L’hélix de l'oreille droite est traversé par une barre métallique aux extrémités en forme de pointe. Une autre pointe en acier lui traverse la lèvre inférieure en son milieu. T-shirt ajusté à longues manches, jeans slim avec de nombreuses déchirures ornementales et des boots au design original aux pieds, le tout en noir et de très bonne facture. La famille de Thomas ne manque pas d'argent. Je suis surprise que ses parents tolèrent un tel look. En y réfléchissant, maintenant que je rencontre son petit frère, il m'apparait évident que ces deux là ont été délaissés. Thomas n'aurait jamais pu tomber si bas s'il avait eu des parents soucieux de sa personne.
Johann se tient remarquablement droit sur sa chaise. Délaissé, mais bien dressé. Je le trouve attendrissant ainsi affublé. Il n'ose pas me regarder dans les yeux et soigne un air blasé pour masquer sa timidité. Je pose mes mains l'une sur l'autre sur le plateau de la table et tente de briser la glace.

Je suis ravie que tu aies accepté de t’entretenir avec moi. Sache que cet échange restera entre toi et moi. J'essaie d'aider ton frère, mais il refuse de s'ouvrir à moi. Je ne peux pas soigner un patient dont j'ignore tout. J'ai besoin que tu me parles de lui, de ce que tu perçois de sa personne, de ce qu'il t'inspire.

Johann fait tourner son crayon sur la table. Ses sourcils légèrement froncés révèlent qu’il essaie de dissimuler son anxiété. Il finit par lever les yeux et me toise de haut en bas. Puis, un sourire fendille son masque.

Ce qu'il m'inspire ? Vous plaisantez ?

Cette réponse m'étonne. Il a accepté de me rencontrer sans afficher la moindre résistance, alors pourquoi se braque t'il à présent ?

- Je ne plaisante pas. Excuse-moi, je ne sais rien de votre relation, Thomas ne me parle jamais de sa famille.

Son visage s'assombrit.

- Il ne parle jamais de moi.

Ce n'est pas une question. Il prend juste note de cette information. Enfin, il plante ses yeux dans les miens. Ils sont d'un bleu océanique et cerclés d'un vert émeraude brillant. Ils m'évoquent la peinture de Camille Hilaire, en particulier son triptyque maritime. Je ne peux retenir un sourire à l'évocation de ces toiles. Johann ne perd pas contenance et me fixe avec la même intensité.

- Quand je pense à Thomas, ce qui me vient en premier c'est : « Crève sale bâtard ».

Il fallait s'y attendre. Il est en colère contre son frère. Comme je ne sourcille pas, il complète sa phrase.

- C'est la dernière chose que je lui ai dite. Je lui ai dit de crever et il s'est ouvert les veines. C'est comme ça qu'il a atterri ici. C'est à cause de moi.

Johann pense être à l'origine du comportement suicidaire de mon patient. Il est là depuis à peine cinq minutes et il éclaire déjà ma lanterne. En passant, il me révèle qu'il culpabilise d'en être la cause. Leur relation est bien le nœud du problème, c'est pour cela que Thomas ne me parle jamais de lui. Tout ce temps, il a soigneusement éludé la question en me baladant avec ses mensonges.

Il l'a fait lors d'une dispute ?

Il affiche un rictus ironique.

- Une dispute ? Si ça vous plaît d'appeler ça comme ça. Il devait surement être camé jusqu'à la moelle. Je voulais qu'il me parle, mais il ne m'a rien dit. Il n'a pas lâché un seul putain de mot. Par contre, il m'a soulevé, il m'a cogné contre tous les murs et m'a jeté comme une merde. Je lui ai dit d'aller en Enfer, de crever. Il m'a écouté mais il n'a rien dit. Cet enfoiré ne m'a jamais donné la moindre explication à son comportement de connard et vous voulez que je vous aide ? C'est vous la toubib, c'est vous qui devriez me dire ce qui ne va pas chez lui !

Cet enfant me fait de la peine. Il est malheureux comme les pierres et se réfugie derrière un écran de colère. Je ne l'ai pas fait venir pour le plaindre, je reprends mon ton de professionnelle et le questionne.

- Ça a toujours été comme ça entre vous ?

Ma question semble l'avoir blessé. Ses traits deviennent tirés, j'ai atteint la corde sensible.

- Avant il m'aimait.

L'utilisation du verbe « aimer » me fait lever un sourcil malgré moi. Avant, il l'aimait. Il m'a dit ça comme s'il parlait d'un ancien amoureux. Mon patient, « aimait » autrefois. La mine déconfite de Johann m'enseigne qu'il s'agit d'un sentiment doux et protecteur qu'il regrette. Thomas m'a sacrément retourné le cerveau, j'ai un mal de chien à imaginer son visage lubrique à l'attitude soigneusement calibrée pour la provocation faire preuve d'affection et de tendresse envers qui que ce soit.

- Tu peux m'en dire plus ?

Il recommence à faire tourner son crayon et s'avachit sur sa chaise. Il a besoin de vider son sac et ça va être long.

- Mes parents ont divorcé quand j'avais cinq ans et ma mère a obtenu ma garde, mais elle travaillait beaucoup. Je passais mes journées, seul avec ma nounou. Je m'ennuyais beaucoup et je m'étais mis en tête d'avoir une petite sœur ou un petit frère. À chaque fois que maman rentrait, je lui demandais si je pouvais avoir une petite sœur ou un petit frère. Elle me répondait toujours par la négative et repartait dans son bureau bosser sur des dossiers qu'elle ramenait à la maison. Un jour elle m'a dit que j'avais un grand frère. Qu'il vivait en Amérique et que si je le voulais, elle le ferait venir pour qu'il vive avec nous, j'ai sauté de joie. Thomas est l'enfant qu'elle a eu avec un amour de jeunesse quand elle étudiait à la fac de Salt Lake City. Il s'appelait Ahiga, c'était un navajo. Ma mère est issue de deux familles très strictes, pour mes grands-parents il était inenvisageable qu'elle rentre avec un gamin né hors mariage. De toutes façons, je pense qu'elle ne voulait pas l'élever, mais on ne peut pas avorter en Utah. Elle s'est enfuie et l'a abandonné à la famille de son père. Puis elle a fini ses études à Cambridge où elle a rencontré mon père.

Il fait une pause. J'en profite pour prendre des notes sur mon calepin. Thomas est un enfant non désiré et abandonné. Ça commence bien.

- Quand il avait douze ans, son père et lui se sont fait agresser. Son père s'est fait battre à mort, sous ses yeux.

Je ne montre rien, mais j'en tombe des nues ! Me voici en pleine traversée de l'orage. Johann me transperce avec ses yeux vert Hilaire.

- Il ne vous l'avait pas dit, hein ?
- Il ne me dit rien. Tu t'en doutes, il m'est difficile de soigner un patient qui ne parle pas.

Il exhibe un petit sourire compatissant.

- Bienvenue dans mon monde.
- Veux-tu boire quelque chose ?

Il accepte volontiers et me demande un thé glacé et non un soda comme je m'y attendais. Après une petite pause destinée à lui permettre de rassembler ses idées, il continue de me livrer les secrets de mon patient.

- Quand Thomas est arrivé chez nous, il était encore traumatisé et ne parlait pas. Au début on pensait que c'était à cause de la langue et du dépaysement. Il parlait navajo et un peu anglais, il vivait dans la réserve indienne en Utah avec sa grand-mère mais en dehors de cette vieille femme et de son père, personne ne s'occupait de lui. Je peux vous dire qu'il adorait son père. Quand il est mort, Thomas a vécu comme une punition le fait d'être envoyé ici, d'où son mutisme qui a perduré un an après son arrivée. Un beau jour, il s'est mis à parler, directement en français, sans accent et sans faire d'erreurs. Il n'est pas devenu bavard pour autant, mais on pouvait enfin avoir une conversation avec lui. C'est à partir de ce moment qu'on a pu se rapprocher l'un de l'autre.

Il fait une pause et sirote son thé. Je suis impatiente de savoir ce qu'il appelle « se rapprocher l'un de l'autre ». À quel point étaient-ils proches ? Thomas était-il affectueux ? Johann ne me fait pas languir et reprend son récit après avoir avalé quelques gorgées.

- Ce sont mes plus beaux souvenirs si vous voulez tout savoir. On a quatre ans d'écart, mais Thomas était culturellement et psychologiquement très différent des garçons de son âge. Il s'est mis à prendre soin de moi. On jouait ensemble, on regardait des films et il me prenait dans ses bras. C'était quelqu'un de très affectueux. Certaines nuits, il me laissait dormir avec lui, je me roulais en boule comme un gros chat dos à lui et il me recouvrait de ses bras. J'avais son souffle dans ma nuque, il faisait chaud contre lui, j'adorais me blottir ainsi. Ça a duré quatre ans.

La mélancolie envahit son regard. Il a l'air si triste. Je ne pensais pas qu'ils avaient eu une relation aussi fusionnelle. Johann tire sur sa paille et vide son verre.

- Ensuite il est entré au lycée et c'est devenu un étranger.
- Comme ça, du jour au lendemain ?
- Ou presque. Au début il m'évitait, à la fin il me virait de son passage. Je me doutais bien qu'il partait en vrille hein, mais la boîte de notre mère était en train de racheter un de ses principaux concurrents, alors elle n'en avait rien à foutre de ce qu'il se passait à la maison à ce moment-là. Le reste de l'histoire vous la connaissez. C'est pour ça qu'il est ici depuis plus d'un an et je ne vous cache pas que je me demande s'il sortira un jour.


Touché coulé. Il me balance mon incompétence en pleine poire. Ou il est juste désespéré de retrouver son frère, puisque c'est le seul qui l'ai couvert d'affection à ce que j'entend. Deux gamins délaissés, c'est d'une tristesse. Je me recentre sur mon travail, mon carnet est rempli de notes, cet entretien fut très instructif. J'ai enfin vu l'œil du cyclone et il est vert Hilaire.

3 commentaires:

  1. Ahaha je me souviens de la première fois ou j'ai lu ce passage. Il me fait toujours le même effet "outch Jo tu mâches pas tes mots, t'abuses" XD!

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  2. Pas faux, mais je préfère le passage ou il s'engueule avec "Urina" dans la cuisine xD !

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    1. La pauvre Irina, c'est vraiment la dinde farcie pour le coup dans toute cette histoire ^^

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